interessant article expliquant sans doute l'épanouissement retardé de nos iliens ! tu vois Kek, j'apprends vite
Démons et merveilles
Publié le : mardi 20 septembre 2016
Eclairant le jeu de leurs vivacité et spontanéité, les Fidjiens sont les joueurs étrangers plus appréciés en France. Mais ils restent confrontés à un déracinement qui peut être déroutant.
Frédéric BERNÈS
L'été qui s'achève. Des avions qui décollent. Et puis qui atterrissent. Mais le passager Timoci Nagusa n'est assis ni côté couloir ni côté hublot. Ni au milieu d'ailleurs. À Montpellier, son président Mohed Altrad ne sait plus quelle posture adopter. La carotte ? Le bâton ? Le fatalisme ? La colère ? Il est aujourd'hui toujours sans nouvelles de son ailier fidjien. Le retard d'une semaine peut faire rigoler, alors que le retard d'un mois, beaucoup moins. Pas loin de là, à Perpignan, le patron n'a pas témoigné la même patience à l'égard de sa recrue Timoci Matanavou, licencié «chronologique» pour faute grave. Faut dire que l'ailier a tellement séché la reprise qu'il n'est jamais venu au stade. Aucune étude valable ne prouve qu'un enfant prénommé Timoci n'avalera jamais une pendule, mais ces deux cas particuliers ont relancé une vieille ritournelle : «Ah, la ponctualité fidjienne !» Qui ressemble d'ailleurs beaucoup à la ponctualité des footballeurs sud-américains en janvier, quand il faut retourner en Europe... Avec humour, le Tarbais Isoa Domolailai, a, un jour, décrit la situation : «Les Fidji, c'est beaucoup plus tranquille. En France, il y a une rigueur sur les horaires. On ne connaît pas le Pacific Time !»
Mohed Altrad va-t-il devoir se résoudre à envoyer un ou des émissaires sur place pour récupérer son oiseau rare ? En septembre 2006, Laurent Lubrano, directeur général du SU Agen, avait embarqué pour un très long courrier, avec l'espoir de débusquer Rupeni Caucaunibuca, phénoménal ailier, deux fois meilleur marqueur d'essais du Championnat, qui manquait cruellement au club lot-et-garonnais. «Rup's» a fini par rentrer. En surpoids, le Fidjien n'inscrira qu'un essai en Top 14. Et le SU Agen descendra en Pro D 2.
Quelques années après, Neil McIlroy, directeur sportif de Clermont, était lui aussi allé sur place retrouver la trace de Napolioni Nalaga. «Il était empêtré entre deux femmes, se souvient-il. Son village était divisé entre ces deux femmes. Ça lui prenait la tête. Il ne pouvait pas revenir. Être allé là-bas m'a aidé à mieux comprendre. Je suis un Anglo-Saxon très rigoureux mais je n'attends pas que les Fidjiens deviennent comme moi.» Ce raisonnement fait du bien aux oreilles. Â en croire Thomas Lombard, qui a croisé quelques Fidjiens dans sa carrière, ce point de vue est majoritaire en France. «Tu ne trouveras pas un joueur qui dira du mal d'un joueur fidjien. Parce que le joueur fidjien est profondément humble, qu'il a toujours la banane. Ces mecs, ce ne sont pas du tout des tordus. Un groupe donnera un passe-droit à un Fidjien qui arrive en retard, alors qu'il ferait des bonds si on accordait la même clémence à un Sudaf ou à un Australien. Il y a une empathie avec les Fidjiens. La contrepartie vient aussi de leur valeur sportive. Ces gars peuvent te faire gagner des matches en traversant le terrain, tout seuls.»
Téléphone portable, grille-pain, ces anecdotes fidjiennes...
Vingt ans que les Fidjiens égayent notre Championnat. Vingt ans qu'on se raconte les petites histoires d'un grand choc culturel. De celui qui jetait un à un ses téléphones portables parce qu'il ne savait pas qu'il fallait recharger la batterie. Celui qui, effrayé par la fumée de son grille-pain, le balança par la fenêtre du 7e étage au risque d'estropier les passants. Celui qui a failli faire s'étrangler Guy Novès avec ses factures de téléphone à 10 000 euros. Ceux qui préféraient dormir par terre parce qu'ils l'avaient toujours fait. Serions-nous plus dégourdis si nous étions téléportés là-bas ? Ne nous trouverait-on pas décalés ? Et puis, si on en est à parler de tours de cons, rappelons que c'est un international gallois qui a roulé sur une autoroute galloise en voiturette de golf. Et qu'à la Coupe du monde 2011, les lanceurs de nains, c'était des Anglais. «Je ne vois pas de problèmes d'adaptation chez les Fidjiens, certifie Franck Boivert, un Français enraciné là-bas et qui fut deux fois DTN. Il y a des problèmes de comportement. Sur deux cents ou trois cents Fidjiens en Europe, il y a quatre ou cinq cas difficiles, c'est peu. Le truc, c'est que ce sont des cas spectaculaires. Le plus extrême, c'était "Caucau".
Chaperon des Fidjiens de Mont-de-Marsan depuis l'époque Serevi-Delasau-Satala, au début des années 2000, Pierre Ley, est, lui, plus critique. «Les Fidjiens d'aujourd'hui n'ont pas le comportement qu'avaient un Serevi ou un Satala. Le monde a évolué, chez eux aussi. Certains se prennent pour ce qu'ils ne sont pas, ce qui désolent Serevi et Satala quand je leur en parle. Le problème, ce n'est plus la solitude : il y a des Fidjiens, des îliens ou des anglophones dans tous les clubs. Le climat n'est pas non plus un obstacle. On a vu des Fidjiens s'épanouir à Aurillac ou à Bourgoin. La langue, c'est le plus dur pour eux.»
En travaillant sur le sujet, on a retenu trois théorèmes. Théorème 1 : un Fidjien tout seul dans un appartement dépérit. Théorème 2 : un Fidjien ne fait jamais la gueule. Théorème 3 : un Fidjien qui ne parle pas n'est pas un Fidjien qui ne communique pas. «Un jour, j'animais une séance là-bas, se rappelle Freddy Maso, cadre du centre de formation de l'ASM, qui se rend une fois par an dans l'académie de la province de Nadroga avec laquelle le club auvergnat a un partenariat. Je pose une question à un joueur. Zéro réponse. J'en fais part à mon collègue fidjien qui me dit : "Si, si, il a répondu à ta question. Tu n'as pas vu mais il a bougé les yeux." Ils communiquent beaucoup avec les yeux.» Suivez leurs regards. «Quand un coach leur gueule dessus, ils sont désarçonnés», valide Lombard.
IL LEUR FAUT S'ADAPTER. AUX CHAUSSURES ET AU RESTE
À Brive, où s'est établie la plus forte colonie fidjienne du Top 14 (6), on a adopté un certain mode de management. «La base des bases, c'est d'avoir un ou deux sages qui deviennent leaders de parole de la communauté, explique Didier Casadéï, entraîneur des avants du CAB. Ils cadrent les autres. Chez nous, on a Radikedike, Koyamaibole et Waqaniburotu, qui sont des pères de familles, avec la tête sur les épaules. On fonctionne pareil avec les Sudafs de Brive.» «Radikedike est pasteur, Koyamaibole est fils de pasteur. Ils ont les outils, l'éducation», résume Boivert.
Pour un Fidjien, la parole du chef ou de l'ancien, c'est de l'évangile en barre. «N'oublions que ce pays est une dictature militaire (*), glisse Lombard. Le fonctionnement hiérarchique, ils connaissent.» «Dans la société fidjienne, développe Franck Boivert, les rôles sont précisément définis. Tout le monde sait où est sa place. C'est très codifié. Quand ils arrivent en France, ils n'ont plus ces repères et ça peut partir en vrille. Pour certains, partir, s'affranchir de ce système, c'est une libération. Et parfois ils ne veulent pas revenir pour ne pas être plumés par le chef du village ou la famille qui va leur dire : "Paye-ci, paye-ça." Pour vous faire comprendre la force du lien hiérarchique, j'ai une anecdote : un jour, je faisais passer des tests physiques à une équipe d'ici et d'un coup, les gars s'arrêtent. Il y en a qui avaient à peine transpiré. Je leur dis qu'ils auraient pu continuer. En fait, ils ne voulaient pas humilier un chef qui, lui, n'en pouvait plus et s'était arrêté.» Maso, lui aussi, a été marqué. Par un silence. «C'était une classe de cinquante élèves fidjiens et il n'y avait pas un bruit. Ça ne bougeait pas. Chez eux, la notion de critique n'existe pas. On ne se permetpas de juger ou même de blaguer sur un collègue de travail. À côté de ça, dans le rugby, c'est le jeu libre, à fond. Ils jouent pieds nus sur des stades avec des trous où toi tu aurais peur de te faire une cheville. C'est pour ça qu'ils ont souvent la voûte plantaire hyperlarge. Quand Raka est arrivé à Clermont, on a fait des tests de vitesse et il courait super mal. Il nous a alors demandé : "Je peux courir sans chaussures ?" Et là, il allait super vite. C'est comme si nous on allait au boulot en chaussures de ski. Les crampons, les chaussures de ville, ce n'est pas naturel pour eux.»
«Avec les Fidjiens, il faut bien cibler les menaces. Ce sont des gens très innocents qui n'ont pas du tout la même notion de l'argent que nous», Neil McIlroy
Il leur faut s'adapter. Aux chaussures et au reste. «Les clubs qui recrutent doivent avoir une base de compréhension des cultures différentes : un Gallois n'est pas un Samoan qui n'est pas un Australien, affirme Neil McIlroy. Un Fidjien de vingt ans n'a pas les mêmes besoins ni les mêmes problèmes qu'un Anglais de trente ans qui vient avec toute sa famille. Avec les Fidjiens, il faut bien cibler les menaces. Ce sont des gens très innocents qui n'ont pas du tout la même notion de l'argent que nous. D'un coup, ces garçons deviennent beaucoup plus riches. C'est déstabilisant. Il faut les éloigner des agents peu scrupuleux. La nouvelle génération sera plus informée, mieux préparée au fonctionnement des clubs en Europe. Raka (21 ans) devait revenir un mardi soir. Et le mardi soir, il était là.» Bernard Laporte abonde : «J'ai eu Joshua Tuisova à Toulon et le gamin était très pro. Jamais en retard. Mais il faut négocier avec eux quand tu sens que le mal du pays devient trop fort. Deux fois, on l'a laissé partir dix-huit jours au lieu de dix. Si vous aviez vu l'émotion dans ces yeux...»
L'an dernier, un manager du Top 14 a songé à héberger chez lui son ailier fidjien qui était en train de se perdre. Cette saison, c'est Simon Raiwalui, le coach des avants du Stade Français, qui s'est porté volontaire pour accueillir dans ses pénates son compatriote Alipate Ratini pour le protéger du démon de l'alcool. «L'alcoolisme, c'est un problème, convient Franck Boivert. Ils boivent ça comme du kava (boisson traditionnelle aux vertus relaxantes) et ne tiennent pas très bien l'alcool. En revanche, ceux qui sont dans la religion (les Fidjiens sont des gens très croyants) ne boivent plus.» Thomas Lombard aimerait qu'on parle d'une «forme d'exploitation. Le joueur fidjien est moins cher. À pedigree égal, on va le payer 7 000 € par mois au lieu de 9 000 €. Il est moins bien considéré.» Ce qui n'empêche pas que, vu des Fidji, la France et son Top 14 restent un eldorado plus que désirable. «En Nouvelle-Zélande ou en Australie, ils sont moins bien payés, pas très bien accueillis, raconte Boivert. Il y a un fond de racisme envers eux. Alors qu'en France, le bouche à oreille est très positif. Moi, quand je marche dans la rue à Suva (capitale du pays), les parents m'arrêtent et me demandent d'envoyer leurs gosses en France. Le oversea base player (joueur qui a signé un contrat à l'étranger) est devenu un véritable statut aux Fidji.» Théorème 4 : chouette, on n'a pas fini de voir des Fidjiens cavaler sur nos terrains.
(*) L'archipel a connu quatre coups d'Etat depuis 1987. Le dernier remonte à décembre 2006.
Partager l'article
Facebook Twitter Google
1 Commentaire
charras49 - 20 sept. à 9:07
j' en connais un qu'il a fallu licencier , tous les week ends , il fallait aller le chercher au commissariat , alcool , jetait des vélos dans les canaux
AlerterRéagir
0 1
Réagissez à cet article
lebougnat
Votre commentaire (500 caractères restants)
Votre commentaire sera publié dans les plus brefs délais après modération